L'article ci-dessous est paru dans le quotidien Le Soir au sujet d'une exposition que j'ai eue la chance de voir à Bruges
Le multiculturalisme est notre quotidien. Maures, Africains ou perroquets : les peintres du XVe découvraient l’exotisme !
Un chatoyant tapis oriental jeté aux pieds de La Vierge au chanoine Joris van der Paele. Vert pistache et or, est-ce un perroquet que caresse l’Enfant Jésus ? Les ornithologues y verraient plutôt une perruche à collier, dont l’aire de distribution s’étend du Sénégal jusqu’au sud du Soudan. C’est sûr, Jan van Eyck a vu cet oiseau, pour le peindre de manière si précise, en 1436.
Peut-être un voyageur portugais l’a-t-il amené à Bruges et offert au chanoine, qui souhaitait que l’oiseau symbolise son âme entre les mains du Seigneur.
Jan Van Eyck ou encore Hans Memling faisant caracoler un chameau dans l’Adoration des Mages du triptyque de Jan Floreins : chez les Primitifs flamands, ce naturalisme n’a rien de profane, puisqu’il est mis au service d’une mystique précise où le monde visible est divinisé.
Au XVe siècle, les peintres vivaient dans une société en pleine mutation. Christophe Colomb découvre les Antilles et le continent américain en 1492. Vasco de Gama navigue en direction de l’Inde en 1498. Cabral débarque au Brésil. Magellan entreprend un voyage autour du monde en 1522… Des peintres comme Jan Provoost, et peut-être même Jan van Eyck, ont fait le voyage de Jérusalem.
L’image que l’on se fait du monde n’a jamais autant été remise en question. L’imprimerie fait circuler ce savoir neuf, une quantité d’informations sur les nouvelles cultures.
Les explorateurs rapportent des récits de leurs fabuleux voyages, mais aussi des exemplaires de la faune et de la flore, des produits locaux, et même des autochtones en chair en os.
La culture et l’art de l’Occident vont assimiler ces nouveautés qui s’ajoutent à la connaissance d’autres civilisations apportées par la Bible, les auteurs anciens, les Croisés, les récits du Moyen Age, l’Il Millione de Marco Polo ou les carnets de route des pèlerins.
Un nouveau monde sans limites
Qu’est-ce que les Primitifs flamands considéraient comme exotique ? Quels éléments introduisent-ils dans leur art ? Quelle était leur attitude par rapport à la tradition et au changement ?
Analyses et réponses pourraient charpenter un splendide coup de projecteur inédit sur l’âge d’or des peintres à Bruges.
Sources littéraires illustrées, tableaux, dessins, cartes, cinq espaces thématiques abordent ce nouveau monde sans limites, mais aussi le revers de l’exotisme : les préjugés racistes.
Plaque tournante du commerce mondial, Bruges s’implique dans le commerce au long cours. Au temps de Philippe le Bon et de la cour des ducs de Bourgogne, le foyer des arts grandit dans une opulence ostentatoire inouïe. Dans le sillage des marchands, chameaux, perroquets d’Amérique, buffles, lions, rhinocéros, mais aussi des personnages plus exotiques, apparaissent sur les huiles sur bois.
Et le mage Gaspard devient noir
(ci-contre tableau de Dürer)
Le mage Gaspard, d’abord blanc, devient un Noir à part entière, vêtu de riches habits et de pierres précieuses selon une mode influencée par le commerce.
Dans l’Adoration des Mages peinte par un maître anonyme en 1510, ces rois sont accompagnés d’une suite colorée de personnages et d’animaux exotiques que l’on peut étudier sur le motif dans les zoos des princes et des empereurs.
Les Portugais tenteront d’ajouter un quatrième roi mage, amérindien, sans succès !
Le 3 janvier 1420, un groupe de Tziganes arrive à Bruxelles, rapidement en butte à une hostilité croissante, bannis et déportés. Ils sont représentés avec de longs cheveux, de grands anneaux dans les oreilles et un turban. Ce profil de méchant, bourreau patenté, on le retrouve aux côtés des juifs barbus et lippus en général, vêtus de jaune, dans les crucifixions comme celle de Frey Carlos ou de l’artiste montois Jan Provoost.
Maures brandissant le cimeterre, mahométans enturbannés et madones mariales, d’étranges liens se tissent entre l’Occident et l’Orient à une époque où chrétienté, art et commerce n’ont plus les mêmes frontières.
Texte de Dominique Legrand